12 août 2022

La boucle est bouclée, tes cendres sont désormais mêlées au sable chaud des dunes de la côte, aux pieds de ces pins que tu aimais tant.  Bientôt fusionnées aux poussières souterraines, ces brindilles indistinctes, ces bouts d’écorce égarés, ces carapaces d’insectes desséchés, ils ne feront plus qu’un, terreau perpétuel de la vie qui continue pour nous tous, avec toi. La boucle est bouclée, presque bouclée, il reste à traverser la passe de Maumusson, simple passage d’eau salée mais agité au point de nourrir nos peurs enfantines, pourtant ce ne sont que quelques encablures à franchir pour retrouver le pays de ta jeunesse celui où tu fus conçue. Ce sont les mêmes dunes, les mêmes pins, la même terre, les mêmes odeurs, mais tout est différent, entre les deux, sur cette boucle inachevée, il y a ta vie, si dense, celle de tes enfants et de leur descendance si nombreuse, il y a l’éternité.

Rêvons un peu et imaginons un jour ordinaire à la fin de septembre 1926, il fait beau, un léger vent de terre fait frissonner les Oyats, la mer est plutôt calme, ce qui est inhabituel sur cette côte sauvage, il règne dans l’atmosphère cette combinaison unique entre température, humidité, fragrance, mouvement de l’air, enfin tout ce qui constitue notre environnement immédiat, une harmonie parfaite, le point d’équilibre optimum qui nous apaise et nous fait croire au bonheur. C’est dans ce contexte, qu’au sommet de la dune la plus haute, un couple se tenant par la main regarde vers le large, ils sont encore jeunes mais elle l’est bien plus, plus fragile aussi, plus petite elle s’approche et se serre contre lui. Ils descendent à pas maladroits, gênés par la finesse du sable sec et l’émotion qui la gagne. Ils trouvent enfin un endroit qui ressemble à un nid et s’allongent sur la fine couverture amenée à dessin ou par hasard, nous ne le saurons jamais. Cela s’est passé juste en face, à portée de vue presque à portée de voix et tu naitras un peu plus tard, à la fin du printemps suivant.

Nous avons du mal à distinguer l’homme qui accompagnait ta mère ce jour-là, il est plus grand, plus âgé, bien habillé, mais son visage est flou, son regard est fuyant, il ne restera pas longtemps, silhouette éphémère avalée par le temps. Nous comprenons mieux ta quête incessante pour ce père qui t’a tant manqué, tu nous en parlais de plus en plus et malgré tes questions sans réponses malgré nos recherches infructueuses l’absence est toujours là, pourtant il suffirait d’une photo, d’un visage à mettre sur un nom.  Nous continuerons cette quête à travers le passé pour reconstituer le puzzle de ta vie, pour toi c’est trop tard, pour nous il est important de boucler la boucle et réunir enfin les deux rives du Maumusson.

Ne repose pas en paix, continu à participer au vacarme ambiant, le fracas des rouleaux, la tempête sous les pins, les rafales dans les dunes, le cri des mouettes, le murmure des oiseaux, le rire des écureuils ; ne repose pas en paix, nous reviendrons fouler cette terre imprégnée de ta poussière car elle nous appartient désormais.